Pour une histoire sociale
de l'actionnariat en France
à l'époque moderne

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Appel à communication

Colloque conclusif du programme ANR ACTIMOD
Les actionnaires des compagnies françaises à l’époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècle). Raisons, motivations et engagements des investisseurs.
21-23 janvier 2025
Université Littoral Côte d’Opale
Campus Le Musée
Boulogne-sur-Mer
 
Argumentaire

Les premières sociétés par actions connues au XVIIe siècle en France sont, hormis le cas particulier des moulins toulousains,  des compagnies de commerce. La nécessité de lever des capitaux importants pour la navigation au long cours, fonder des établissement et coloniser des territoires en sont les principales raisons. Et si avec le temps, le financement des entreprises par les actions s’étend à d’autres domaines d’activité économique (mines, canaux, assurance, notamment), ce sont les compagnies de commerce qui principalement usent de ce mode de financement. Les compagnies de commerce  ont leurs historiens : la Compagnie de la Nouvelle-France (L. Campeau, M. Trudel), la Compagnie des Indes orientales (Ph. Haudrère, G. Le Bouëdec), la Compagnie du Mississippi (M. Giraud, P. Harsin), les Compagnies d’Afrique du Nord et du Levant (P. Masson), la Compagnie royale d’Afrique (O. Lopez). Quelques belles synthèses ont été faites (M. Mollat, 1970 ; L. Blussé, F. Gaastra, 1981). Cependant, l’accent est le plus souvent mis sur les activités des compagnies dans le commerce, la production, et l’organisation des échanges. Cette historiographie est restée en France très traditionnelle en s’attachant à dresser le portrait de chaque compagnie et d’en évaluer les performances. Elle a à partir des années 1990 cherché à mieux comprendre ces compagnies en les replaçant dans le contexte économique général d’un monde en voie de globalisation ou les échanges se multiplient et se diversifient entrainant dans son sillage les interventions de très nombreux opérateurs. Mais les investisseurs sont en général peu regardés.

Pour tenter d’approcher au mieux le monde de l’actionnariat français à l’époque moderne, six pistes de réflexions seront privilégiées:

1 – Qui sont les investisseurs ?

Le profil type de l’actionnaire le plus souvent évoqué est celui du financier, mais ils ne sont pas les seuls présent dans les compagnies comme l’atteste les listes d’actionnaires. Ainsi qu’en est-il des marchands dont pourtant un tiers de la direction de la Compagnie de la nouvelle-France leur est réservée ? Nous notons la présence de femmes aussi (E. Roulet, 2024). Il existe aussi de petits porteurs. Quelle est la part des autres groupes formant l’élite du royaume ? où sont les nobles et les bourgeois des grandes villes, et notamment des grandes métropoles de provinces ? La part des nobles dans les sociétés minières est mieux connue. La Compagnie des mines d’Anzin accueille le vicomte Jacques Désandrouin, le duc de Croÿ et le duc de Choiseul (A. de Saint-Léger, 1935-1939). Les puissants pratiquent une forte endogamie. Ils sont souvent liés entre eux, non seulement par leurs responsabilités économiques ou administratives, mais aussi par leurs attaches géographiques et même privées. Les mariages jouent un grand rôle comme les fratries. Mais qu’en est-il ailleurs ? Il conviendra aussi de s’attacher à regarder la nature des liens entre les actionnaires.

A ce titre, une géographie serait intéressante à souligner. Quelle est la part de Paris, des grandes villes de province, des villes portuaires ? par ailleurs, peut-on voir une évolution de la structure de l’actionnariat des compagnies au fil du temps ? comment la part de chaque groupe évolue-t-elle dans le temps ?

Les actionnaires des sociétés du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle forment-ils un groupe qui puisse influer la politique royale ? ou ne constituent-ils pas plutôt des groupes rivaux quitte à entraver le développement de leurs affaires ? Les actionnaires sont-ils en mesure de peser sur les décisions politiques pour défendre ou sauver leurs intérêts financiers ? Ont-ils de velléités politiques ? Les choses semblent, en ce domaine, particulièrement complexes. Nous savons que les directeurs des compagnies commerciales interviennent auprès du pouvoir à de nombreuses reprises pour solliciter des exemptions de taxes et de nouveaux privilèges. Mais comme n’importe quel homme d’affaire. Sauf qu’ils représentent un poids économique et politique, voire stratégique plus important. Par ailleurs, appartenant pour une part aux élites du royaume, ils disposent d’appuis et de relais. Ils participent à des réseaux d’influence. Mais quel est leur poids réel ? Que leur concède le pouvoir ?

2 – Les motivations des investisseurs 

Le but de ses prises de participation est de retirer un dividende qui est différente d’un profit tiré d’une affaire particulière marchande ou autre. Ici, les compagnies ont de multiples attributions et sources de revenus. Le commerce, dont elles ont en général le monopole, mais qu’elles peuvent déléguer à des particuliers ou à des compagnies particulières contre un pourcentage ou une redevance, ou certains droits, mais aussi la perception de taxes sur les productions et les échanges de marchandises, l’exploitation parfois même de certaines terres qui lui sont exclusives et l’octroi de privilèges contre des droits (droit de faire de l’eau-de-vie par exemple). Les actionnaires n’en retirent pas un profit mais attendent des bénéfices généraux de l’entreprise. Les notions même de bénéfice ou de profit doivent être clarifiées pour cette époque. Y a-t-il alors un redistribution aux actionnaires ? Une interrogation doit être menée sur les dividendes et les rétributions des actionnaires. Et d’en voir et d’en saisir les modalités. Mais il faut prendre en compte qu’à cette époque, les privilèges et les concessions faites par le pouvoir aux sociétés et aux investisseurs s’accompagnent de nombreux autres avantages parfois financiers, d’autres purement symboliques, pour consolider des positions dans la société.

Mais les motivations des actionnaires sont-elles uniquement matérielles ? Les actionnaires peuvent avoir une grandeur d’âme et se mobiliser pour poursuivre des buts plus élevés. Par exemple, les dévots sont d’une façon générale assez présents dans ces compagnies de commerce vers les espaces lointains qui sont compris comme des terres à évangéliser (D. Deslandres, 2003). La présence dans le capital de ces sociétés de commerce d’ecclésiastiques, comme l’abbé Marivault dans la Compagnie de la France équinoxiale de 1651, est un indice des motivations religieuses de certains actionnaires qui sont bien loin de l’attente de retombées financiers. Les motivations ou les attitudes paternalistes demandent à être mise en évidence. Certains sont-ils animés du service de l’État ou du bien commun ? Enfin il convient des s’intéresser aux augmentations de capital quand elles ont lieu afin et saisir comment les actionnaires réagissent.

Dans quelles mesures les garanties apportées par l’État ont-elles convaincus des particuliers d’entrer dans les sociétés ? Cela donne-t-il des assurances aux actionnaires ? Le fait que l’État, en l’occurrence le roi ou son principal ministre investisse majoritairement dans une société et prennent des actions, doit être comprise comme un indice certain de l’effet d’entrainement il convient de cautionner ce mode de financement et d’une certaine façon de le garantir. ? On peut aussi s’interroger sur les modes de publicité en faveur de ce type d’intervention du capital dans les entreprises. Quels sont les billets, les affiches et placards qui pouvaient être mises en avant pour susciter une forme d’enthousiasme du public. Quelles sont les parts détenues par l’État ou ses représentants ? Quels conflits d’intérêts peuvent naître de cette interpénétration entre capitaux privés et publics ?

 

3 – La diversité des investissements

On pourra aussi s’interroger sur les actions détenues par les investisseurs. Se contentent-ils de quelques placements ou investissent-ils massivement et de façon assez générale ? diversifient-ils leurs investissements ou préfèrent-ils investir dans une seule structure ou entreprise ? Les sociétés intéressent-elles des profils sociaux particuliers en fonction de la nature de leurs affaires ?

4 – Le rôle des actionnaires dans les compagnies

Les investisseurs se préoccupent-ils de la conduite des sociétés dans lesquelles ils ont investi ? Sont-ils présents aux assemblées générales ? Envisagent-ils de participer aux conseils et à la direction ? Les statuts des compagnies ne laissent pas les mêmes espoirs aux actionnaires. Dans maintes compagnies, seuls les actionnaires les plus importants peuvent prétendre à être directeurs. Ailleurs, l’élection est plus ouverte et permet à chacun de prétendre à la direction, quoiqu’il apparaisse que cette charge est souvent réservée et accaparée par certains. Cela bouleverse-t-il les grands équilibres dans les compagnies ? Certains considèrent-ils que leur argent leur permet d’avoir une part de pouvoir dans la compagnie voire dans la société ? Le comportement de Claude Delaunay Razilly, qui outrepasse ses droits de simple actionnaire de la Compagnie des îles de l’Amérique pour décider de son propre chef de la conduite de vente du tabac à Nantes est à ce point intéressante. Elle montre qu’au XVIIe siècle, les hommes s’arrogent des prérogatives qu’ils n’ont pas et qu’ils se donnent en vertu de leur part, mais aussi probablement en raison de leur position sociale, la noblesse, qui les fait se représenter autrement (É. Roulet, 2017). La dissociation entre les fonctions de marchand et d’investisseur ne se fait que progressivement.

La façon dont les actionnaires conçoivent leur investissement et leur place dans une société peut se vérifier (en partie) en regardant les positions qu’ils adoptent lors des débats dans les assemblées générales et les réunions sur la conduite des affaires mais plus assurément encore au moment des difficultés des compagnies ? Les comptes-rendus des séances sont particulièrement précieux. Vendent-ils quand une compagnie se trouve dans une situation difficile, car elle est endettée et que les droits qu’elle perçoit ne rentrent pas par exemple. Afin de faire face à ses obligations elle envisage d’augmenter la participation de ses actionnaires. Mais la renflouent-ils et abondent-ils le fonds ?

5 – L’internationalisation des investissements

Un point particulier pourrait être fait sur la présence des actionnaires étrangers dans les compagnies françaises. Existe-t-il un actionnariat étranger, ce qui viendrait contredire toutes les politiques de protection de type mercantiliste à cette époque ? Les Espagnols investissent dans plusieurs compagnies françaises en affaire avec la péninsule au XVIIIe siècle. Ils représentent 20% de la Compagnie Gilly frères (M. Bustos Rodriguez, 2008). Il y a aussi le cas du négociant de Cologne établi à Paris, Eberhard Jabach (1618-1695), qui est un actionnaire de la Compagnie des Indes orientales. Existe-t-il d’une façon ou d’une autre une forme de capital financier transnational ? Nous savons que les États s’alimentent à l’époque moderne sur les marchés nationaux et étrangers, malgré l’affirmation des grandes monarchies de préférer les seuls nationaux. Les banquiers italiens et flamands en particulier sont des manieurs de deniers. La banque genevoise joue un grand rôle en France en particulier, pensons à Necker qui sera même directeur du Trésor en France. Les Français participent-ils à des compagnies étrangères ?

6 – Etre actionnaire en France et en Europe

Le monde des actionnaire français a-t-il des singularités en Europe à l’époque moderne alors qu’en Angleterre et aux Provinces-Unies se sont monté des compagnies de grande envergure (EIC, VOC, WIC) qui font même figure de modèles aux yeux des décideurs du royaume. Il convient pour cela de tenter une approche comparatiste, car il faut dire que dans ce domaine, nous manquons cruellement de comparaisons malgré quelques tentatives notamment pour le premier XVIIe siècle (É. Roulet, 2017-2023). Les actionnaires français trouvent-ils leur équivalent en Europe ? Les travaux sur l’actionnariat sont certes peu nombreux mais ceux portant sur la WIC (H. den Heijer) ou sur des structures plus petites comme la Compagnie du Darien (S. Jorrand) ou la Compagnie de Providence (K. O. Kupperman) montrent une pluralité des profils des investisseurs, qu’il convient de les mettre en regard des entreprises françaises. Un examen des compagnies nordiques, ou portugaises et espagnoles, plus tardives, peuvent tout autant être riches d’enseignements.

Les propositions de contributions seront de 1 000 mots maximum accompagnées d’une courte biobibliographie.
Elles seront adressées à eric.roulet@univ-littoral.fr
Les propositions sont attendues pour le 31 mai 2024. Les réponses seront adressées durant le mois de juin.